Centre et circonférence par José Le Roy
Douglas Harding disait parfois dans ses stages, avec humour :
" On me qualifie d'excentrique parce que je parcours le monde en affirmant que je n'ai pas de tête.
Mais je ne suis pas excentrique, je suis centrique, je suis centré;
c'est vous qui êtes excentriques et excentrés puisque vous croyez qu'il y a une tête au-dessus de vos épaules!"
En effet, nous vivons à la périphérie de nous-mêmes, excentrés, en exil, identifiés à notre apparence, à nos images, à notre corps (et surtout à un visage), à nos pensées, à nos émotions et nous ne sommes plus au centre. Nous vivons à partir de la périphérie de nous-mêmes, malheureux sans savoir pourquoi, oublieux de nous-mêmes et de notre véritable nature.
C'est pourquoi, il nous faut revenir au centre, revenir à vers nous-mêmes.
Mais comprenons que nous n'avons en réalité jamais quitté ce centre sauf en imagination. Nous sommes toujours nous-mêmes, mais nous négligeons la source de notre être au profit d'une vie aliénée dans les apparences.
De plus, quand nous revenons au centre, nous voyons et expérimentons qu'il n'y a pas de centre et personne au centre. Je suis partout et nulle part.
Dans le livre des XXIV philosophes (XIIème siècle), d'influence neo-platonicienne, on lit que Dieu est une sphère sans limite dont la circonférence est nulle part et le centre partout.
C'est ce que nous sommes exactement. Mais pour le réaliser il faut quitter la vie de la circonférence et revenir vers le centre. Alors on voit que ce centre contient tout et qu'il explose à l'infini. C'est le point zéro, et de ce zéro jaillit l'Un-Etre qui produit le monde.
Voici quelques mots de Guénon sur le centre et la circonférence
"Donc, pour résumer ceci en quelques mots, nous pouvons dire que, non seulement dans l’espace, mais dans tout ce qui est manifesté, c’est l’extérieur ou la circonférence qui est partout, tandis que le centre n’est nulle part, puisqu’il est non manifesté ; mais (et c’est ici que l’expression du « sens inverse », prend toute sa force significative) le manifesté ne serait absolument rien sans ce point essentiel, qui n’est lui-même rien de manifesté, et qui, précisément en raison de sa non-manifestation, contient en principe toutes les manifestations possibles, étant véritablement le « moteur immobile » de toutes choses, l’origine immuable de toute différenciation et de toute modification.
Ce point produit tout l’espace (ainsi que les autres manifestations) en sortant de lui-même en quelque sorte, par le déploiement de ses virtualités en une multitude indéfinie de modalités, desquelles il remplit cet espace tout entier ; mais, quand nous disons qu’il sort de lui-même pour effectuer ce développement, il ne faudrait pas prendre à la lettre cette expression très imparfaite, car ce serait là une grossière erreur.
En réalité, le point principiel dont nous parlons, n’étant jamais soumis à l’espace, puisque c’est lui qui l’effectue et que le rapport de dépendance (ou le rapport causal) n’est évidemment pas réversible, demeure « non-affecté» par les conditions de ses modalités quelconques, d’où il résulte qu’il ne cesse point d’être identique à lui-même.
Quand il a réalisé sa possibilité totale, c’est pour revenir (mais sans que l’idée de « retour » ou de « recommencement » soit cependant aucunement applicable ici) à la « fin qui est identique au commencement », c’est-à-dire à cette Unité première qui contenait tout en principe, Unité qui, étant lui-même (considéré comme le « Soi »), ne peut en aucune façon devenir autre que lui-même (ce qui impliquerait une dualité), et dont, par conséquent, envisagé en lui-même, il n’était point sorti. D’ailleurs, tant qu’il s’agit de l’être en soi, symbolisé par le point, et même de l’Être universel, nous ne pouvons parler que de l’Unité, comme nous venons de le faire ; mais, si nous voulions, en dépassant les bornes de l’Être même, envisager la Perfection absolue, nous devrions passer en même temps, par delà cette Unité, au Zéro métaphysique, qu’aucun symbolisme ne saurait représenter, non plus qu’aucun nom ne saurait le nommer."
René Guénon, Le Symbolisme de la Croix, Chapitre XXIX Le centre et la circonférence